Avril 2011, Edimbourg

dimanche 29 mai 2011

"Un mal moral, profond, nous travaille et nous tourmente. Ce mal moral, cela est étrange à dire, n’est autre chose que l’excès des tendances matérielles. Eh bien, comment combattre le développement des tendances matérielles ? Par le développement des tendances intellectuelles. Il faut ôter au corps et donner à l’âme.
Ne vous méprenez pas sur mon sentiment. Vous me comprenez tous. Je souhaite passionnément, comme chacun de vous, l’amélioration du sort matériel des classes souffrantes ; c’est là, selon moi, le grand, l’excellent progrès auquel nous devons tous tendre de tous nos vœux, comme hommes et de tous nos efforts, comme législateurs.
Mais si je veux ardemment, passionnément, le pain de l’ouvrier, le pain du travailleur, qui est mon frère, à côté du pain de la vie je veux le pain de la pensée, qui est aussi le pain de la vie. Je veux multiplier le pain de l’esprit comme le pain du corps.
Eh bien, la grande erreur de notre temps, ça été de pencher, je dis plus, de courber, l’esprit des hommes vers la recherche du bien-être matériel, et de le détourner par conséquent du bien-être religieux et du bien-être intellectuel. La faute est d’autant plus grande que le bien-être matériel, quoi qu’on fasse ne peut et ne pourra jamais être que le partage de quelques-uns, tandis que le bien être religieux, c’est-à-dire la croyance, le bien-être intellectuel, c’est-à-dire l’éducation, peuvent être donnés à tous. (…)
Il importe, messieurs, de remédier au mal ; il faut redresser, pour ainsi dire, l’esprit de l’homme (…) Pour arriver à ce but, que faudrait-il ? Précisément tout le contraire de ce qu’on fait les précédents gouvernements ; précisément tout le contraire de ce que vous propose votre comité des finances. Outre l’enseignement religieux, qui tient le premier rang parmi les institutions libérales, il faudrait multiplier les écoles, les chaires, les bibliothèques, les musées, les théâtres, les librairies. Il faudrait multiplier les maisons d’études pour les enfants, les maisons de lecture pour les hommes, tous les établissements, tous les asiles où l’on médite, où l’on s’instruit, où l’on se recueille, où l’on apprend quelque chose, où l’on devient meilleur ; en un mot, il faudrait faire pénétrer de toutes parts la lumière dans l’esprit du peuple ; car c’est par les ténèbres qu’on le perd.
L’époque où vous êtes est une époque riche et féconde ; ce ne sont pas, messieurs, les intelligences qui manquent, ce ne sont pas les talents, ce ne sont pas les grands aptitudes ; ce qui manque, c’est l’impulsion sympathique, c’est l’encouragement enthousiaste d’un grand gouvernement.
Vous êtes tombés dans une méprise regrettable : vous avez cru faire une économie d’argent, c’est une économie de gloire que vous faites.
Je la repousse, pour la dignité de la France, pour l’honneur de la République."

Victor HUGO
Extrait d’un discours datant de 1848,
publié par Les Editions du Sonneur sous le titre « Du péril de l’ignorance ».

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